Cet article fait partie de notre série « Prochaines étapes : l’espace de travail post-COVID ».
La crise sanitaire du coronavirus a projeté des millions d’entre nous dans une expérience de télétravail de masse. À l’heure où l’économie redémarre, les PDG utilisent les leçons de cet épisode pour réfléchir à l’évolution du travail. Les entreprises doivent changer leur manière de se démarquer. La période qui s’ouvre sera l’une des plus volatiles et des plus complexes de l’histoire économique récente. Un retour à la normale n’aidera ni les entreprises, ni les employés. La réussite d’une organisation dépendra de sa capacité d’adaptation et de sa réactivité face à des conditions appelées à évoluer, aujourd’hui et demain.
Dans cet article, nous présentons les conclusions de chercheurs sur :
Les risques des stratégies de télétravail poussé à l’extrême
L’inopportunité, à l’heure actuelle, d’un retour à la situation précédente – transformons cette période exceptionnelle en un moteur de changement
Les prochaines étapes : cinq axes pour créer un environnement de travail sûr et attractif
Nous nous trouvons à un tournant. Les dirigeants doivent décider du lieu et des modalités de travail futur de leurs équipes. Un manque de discernement pourrait s’avérer coûteux à bien des égards. Il n’a jamais été aussi crucial de faire les bons choix.
Télétravail intégral : idées reçues vs. réalité
La fin des bureaux est annoncée depuis l’invention du Wi-Fi et des ordinateurs portables. De nombreuses personnes relayent aujourd’hui cette idée, renforcées dans cette conviction par les entreprises qui voient dans le télétravail une solution pour offrir une plus grande souplesse à leurs employés. Durant la crise sanitaire, le télétravail a été imposé à tous ceux qui pouvaient le pratiquer et dans les premiers temps, nombre d’employés ont trouvé le procédé efficace. Mais quelques mois de visioconférence ont eu raison de l’effet de nouveauté, et une écrasante majorité de collaborateurs (entre 88 et 90 %* selon les études) souhaitent désormais retourner dans les bureaux.
Une écrasante majorité de collaborateurs (entre 88 et 90 %* selon les études) souhaitent désormais retourner dans les bureaux.
Alors pourquoi continue-t-on à prédire la disparition de ces derniers ?
On peut citer trois idées reçues qui, largement répandues, contribuent à faire croire que le télétravail serait aujourd’hui la seule solution pertinente pour tous les employés.
La réalité que cachent trois idées reçues sur le télétravail.
Étudier les coûts
L’immobilier et les ressources humaines sont les deux plus gros postes budgétaires d’une organisation. Si certaines entreprises cherchent à faire des économies en limitant l’immobilier, il importe d’étudier le coût réel de cette stratégie pour les employés.
Définir ce que l’on entend par productivité
Sur quels critères définit-on dans votre entreprise la productivité, et comment l’évalue-t-on ? Un travail de routine peut être effectué à la maison. Mais la plupart des dirigeants n’ont que faire d’une boîte mail bien rangée. Ils veulent de bonnes idées, de la résolution de problèmes, de l’innovation.
Zoom sur le bien-être
Pour beaucoup, le télétravail est la promesse d’un meilleur équilibre entre carrière et vie privée – une perspective séduisante. Mais dans les faits, une stratégie de télétravail extrême peut rendre plus poreuse la frontière entre travail et vie personnelle et avoir un impact négatif sur le bien-être physique, cognitif et émotionnel des employés.
Idée reçue n° 1
« Le télétravail coûte moins cher. »
La suppression des bâtiments et autres infrastructures liées aux espaces de travail peut bien sûr permettre quelques économies. Mais avant d’instaurer un télétravail à plein temps, il convient de tenir compte de certains coûts cachés.
Réalité :
Le télétravail n’est pas possible pour tout le monde. Il peut inciter certains employés à quitter l’entreprise.
Si certains dirigeants pensent que le télétravail a été une réussite, les chiffres ne corroborent pas ce sentiment. Les cadres disposant de grandes maisons, avec bureau séparé et bien équipé, y trouvent leur compte. Ils passent leurs journées en visioconférences, à superviser le travail des autres. Mais leurs équipes et les employés plus jeunes, qui vivent souvent dans des logements plus petits, en colocation ou avec de jeunes enfants, travaillent dans des conditions intenables sur la durée.
D’après les recherches de Steelcase, les cadres supérieurs (directeurs et au-dessus) sont plus nombreux que les employés à posséder :
Toujours d’après ces recherches, 75 % des directeurs ou au-dessus déclarent travailler systématiquement ou presque à un bureau lorsqu’ils sont chez eux, contre 46 % des employés. Dans les grandes régions urbaines de la planète, les individus doivent souvent s’accommoder de petits logements, dans lesquels ils ne sont pas seuls : autant de paramètres qui rendent le télétravail difficile. Les travaux de la Cheung Kong Graduate School of Business de Pékin ont montré que plus d’un employé sur deux a constaté une baisse de son efficacité durant cette période de télétravail.
Ceux dont le logement n’offre pas de conditions optimales peuvent ainsi être davantage tentés d’aller voir ailleurs si on ne leur laisse pas la possibilité de réintégrer les bureaux. De fait, les employés qui télétravaillent en permanence ou très souvent sont beaucoup moins nombreux à vouloir effectuer toute leur carrière dans leur entreprise : c’est le cas pour 5 % d’entre eux seulement, contre 28 % pour ceux qui ne travaillent jamais de chez eux (Workplace Trends and Virgin Pulse).
Parmi ceux qui télétravaillent en permanence ou très souvent, seulement 5% déclarent qu'ils resteront dans leur entreprise tout au long de leur carrière.
(Workplace Trends and Virgin Pulse)
Réalité :
Un excès de travail à distance peut éroder le capital social des individus et freiner l’innovation.
D’après Judy Olson (University of California Irvine), spécialiste du travail à distance sur lequel elle a publié plus de 100 articles, le télétravail fonctionne mieux si, outre trois autres grands facteurs de succès, les individus ont déjà collaboré avec leurs collègues sur un site physique. Dans ce cas de figure, développe la chercheuse, ils ont pu se constituer un capital social, autrement dit un ensemble de valeurs partagées qui leur permet de collaborer efficacement. Ils ont développé des liens de confiance, à la base de l’innovation.
Dans une interview accordée au Financial Times*, Paco Ybarra, directeur des activités bancaires d’investissement de Citigroup, a dit craindre qu’en l’absence de contacts directs, le capital social dont jouissent actuellement les employés finisse par se dégrader. À ce sujet, de vastes programmes de télétravail obligatoire menés par le passé ont montré que les véritables problèmes n’apparaissent qu’au bout d’un an environ, lorsque le taux de rotation des effectifs commence à miner les réseaux de sociabilité tissés par des années d’interactions interpersonnelles. Le moral des troupes décline avec ce capital social. Parallèlement, le taux de rotation des effectifs augmente, la productivité chute, tout cela jusqu’à ce que finalement, de nouveaux cadres décident sans état d’âme d’abandonner ces programmes et de promouvoir un retour dans les bureaux (VitalSmarts).
Réalité :
Le télétravail accroît les risques sanitaires pour les employés et les risques sécuritaires pour l’entreprise.
La plupart des bureaux à domicile ne sont pas conformes aux mesures de sécurité très strictes imposées aux entreprises par les organismes gouvernementaux tels que l’Occupational Safety and Health Administration (OSHA) aux États-Unis, l’Agence européenne pour la santé et la sécurité au travail au sein de l’Union européenne, ou l’Organisation internationale du travail en Asie. Les réglementations définissent des critères de sécurité spécifiques pour les locaux professionnels mais pas pour le télétravail (Forbes.com). Pourtant, les employés travaillant de chez eux sont potentiellement plus exposés aux chutes, aux incendies, ainsi qu’aux risques induits par un mauvais éclairage et un équipement peu ergonomique.
Les entreprises doivent également se pencher sur la question de la sécurité de l’information ou de la sécurité informatique dans le cadre du télétravail, dans la mesure où ce dernier ne permet pas d’assurer un contrôle aussi efficace de l’accès de tierces personnes aux tableaux blancs, aux bureaux ou aux documents sensibles susceptibles d’être laissés à la vue de tous. De fait, 84 % des professionnels de l’informatique indiquent que la perte de données est un risque de taille dans le cadre du télétravail. Le bureau constitue un environnement de travail où la santé des collaborateurs et la sécurité des entreprises sont mieux contrôlées. Plus les collaborateurs télétravaillent, plus les employeurs prennent de risques et perdent le contrôle.
Idée reçue n° 2
« Nous sommes aussi productifs – voire davantage – en télétravail qu’au bureau. »
Tout dépend de ce que l’on entend par productivité. Certaines tâches sont très faciles à effectuer de chez soi. Mais pour les travailleurs intellectuels, la vraie productivité – créativité, innovation, transformation – est bien plus difficile à évaluer à court terme, notamment dans un contexte de pandémie, et extrêmement difficile à mettre en œuvre virtuellement.
Réalité :
Les tâches individuelles sont favorisées. La collaboration et la créativité sont en berne.
Le nombre de réunions courtes explosent, tandis que les réunions plus longues marquent le pas, selon une étude menée par l’équipe Modern Office de Microsoft (300 personnes) :
Au premier abord, les réunions plus courtes semblent augmenter la productivité. Mais la réalité est tout autre. Pour citer un cadre du domaine technologique, « nous passons des journées entières à courir d’une réunion à l’autre, sans prendre le temps d’analyser ou de réfléchir à ce qui en est sorti, sans même parler d’agir. » En un mot, la collaboration est beaucoup plus difficile.
Le temps passé à travailler avec d’autres a reculé de 62,6 %
(étude Steelcase WorkSpace Futures)
55 % des employés estiment qu’il est plus difficile de collaborer avec ses collègues en travaillant depuis la maison
(U.S. Work from Home Survey 2020 publié par Gensler)
Certaines études laissent penser que la collaboration en ligne s’est révélée efficace durant la crise. Mais il est important de rappeler qu’il existe trois types de travail collaboratif :
La collaboration informative : partage d’informations ou tâches de coordination
La collaboration évaluative : analyse de solutions, adoption de décisions
La collaboration générative : création de nouvelles idées et résolution de problèmes complexes
Réalité :
La proximité et le regard des autres améliorent la productivité.
On sait depuis longtemps, de source scientifique fiable, que la proximité améliore la productivité d’une équipe. Olson (UC Irvine, auparavant à l’Université du Michigan) a co-dirigé chez Ford une étude montrant que les membres d’une équipe étaient deux fois plus productifs lorsqu’ils travaillaient tous dans une même pièce. La chercheuse remarque que dans cette configuration, les individus peuvent saisir le langage corporel des autres, venir en aide à ceux qui en ont besoin et obtenir rapidement des réponses à leurs questions. L’essor du travail agile, qui accorde une grande valeur au rapprochement des équipes, est venu corroborer ces observations. D’autres études ont également montré une tendance des individus à travailler avec plus d’ardeur en présence d’autres collaborateurs appliqués – un phénomène appelé la « facilitation sociale ». De fait, confirme le Harvard Business Review, les employés sont plus rapides, plus créatifs, et réfléchissent plus intensément aux problèmes lorsqu’ils ont un public.
La collaboration informative et évaluative est tout à fait possible en visioconférence. Mais la collaboration générative, la plus exigeante de manière générale, est aussi la plus difficile à reproduire en ligne. Dans un environnement exclusivement virtuel, les individus ont du mal à soutenir un flux de conversation normal et à décrypter le langage corporel, deux éléments pourtant essentiels dans un processus d’innovation. Dans une récente interview à Wired, Sundar Pichai, PDG de Google, aborde précisément cette question lorsqu’il se demande si les équipes virtuelles continueront d’être productives au moment de brainstormer et d’entamer un processus créatif sans avoir jamais travaillé ensemble physiquement.
Réalité :
Le travail est social par essence. La sérendipité ne se produit pas en ligne.
Interrogés sur ce qui leur manquent le plus de leur vie au bureau, 74 % des individus citent comme on peut s’y attendre les interactions avec les autres (US Work from Home Survey 2020 de Gensler). Le chiffre n’est pas que subjectif. Le travail est par essence une activité sociale. Les sondés donnent les quatre principaux éléments qui les motivent à retourner au bureau :
Réalité :
Nous pourrions créer une génération perdue au travail.
Le télétravail à outrance affecte le moral des millenials et des employés de la génération Z. De toutes les générations, ce sont eux qui se sentent le moins accomplis, ne comprenant pas en quoi le travail qu’ils font depuis chez eux participent aux objectifs de l’entreprise, ni ce que l’on attend d’eux (U.S. Work from Home Survey 2020 de Gensler Seuls 35 % de ces deux groupes ont eu l’impression d’avoir un impact réel en travaillant de la maison. Ces chiffres ne sont d’ailleurs que très légèrement inférieurs à ceux de la génération X (39 %) et des baby-boomers (44 %). Le télétravail réduit également les opportunités de réseautage et les possibilités de mentorat, alors que le développement professionnel et le coaching motivent un tiers des employés à revenir au bureau. Une politique de télétravail extrême peut entraver la capacité des entreprises à former les leaders de demain.
54 %
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45 %
Les réseaux interpersonnels et professionnels s’appauvrissent lorsqu’ils sont limités à des interactions avec de minuscules vignettes sur un écran d’ordinateur, concurrencées par une photo de plage en arrière-plan. Les discussions informelles à la machine à café disparaissent, il devient de plus en plus difficile de faire de nouvelles rencontres. Steve Jobs est connu pour avoir vanté les mérites des rencontres fortuites. Il parlait de « sérendipité provoquée », participant personnellement à la conception des locaux de Pixar pour faire en sorte qu’ils favorisent les interactions imprévues entre les employés. De même, Satya Nadella, de Microsoft, met en garde contre l’excès de célébration dans les zones où les indicateurs de productivité bruts augmentent, parce qu’il est difficile de repérer et de reproduire virtuellement la valeur que génèrent le management, le mentorat et les contacts interpersonnels avant et après une réunion. L’innovation survient de la rencontre de différentes idées. Les individus assemblent ensuite les concepts entre eux pour créer quelque chose de nouveau. La sérendipité ne se planifie pas.
Idée reçue n° 3
« Le télétravail offre un meilleur équilibre entre vie personnelle et vie professionnelle. »
Le télétravail a ses avantages : pas de trajet, la possibilité de travailler en jogging, de passer plus de temps avec sa famille ou ses animaux de compagnie... Mais il a aussi ses inconvénients, comme le révèlent différentes données.
Réalité :
Le temps de travail s’accroît au fur et à mesure que la frontière entre vie personnelle et vie professionnelle s’estompe.
Les employés du monde entier ont vu la durée moyenne de leur journée de travail s’allonger sensiblement avec la pandémie de COVID-19 et la généralisation du télétravail.
États Unis
Royaume-Uni, France, Canada et Espagne
Allemagne, Autriche, Pays-Bas et Belgique
Conformément à la « théorie de l’échange social », lorsqu’on permet aux employés de travailler plus souvent à distance, ils travaillent davantage, lit-on dans le Harvard Business Review. Les employeurs ont tendance à augmenter la charge de travail et à demander des choses impossibles à réaliser dans un certain laps de temps – autant de facteurs qui peuvent contribuer au ressentiment et au burn out des employés. D’après l’étude State of Remote Work menée par Buffer, les éléments que les individus disent avoir le plus de mal à gérer sont les difficultés en termes de collaboration et de communication, la solitude et l’incapacité à déconnecter.
Travailler exclusivement de la maison peut aussi induire un phénomène de « désintégration temporelle ». Si vous vous demandez quel jour nous sommes, vous savez de quoi nous parlons. Les personnes éprouvent une légère confusion et ne perçoivent plus l’avenir, une impression qui découle de leur solitude et d’un sentiment d’inutilité. En l’absence de rituels spatialisés, comme le trajet en voiture du matin ou la compagnie d’autrui, toutes les journées se ressemblent. Quand aucune frontière physique ne sépare la vie professionnelle de la vie privée, il devient difficile de poser des limites.
Réalité :
Les réunions virtuelles sont plus fatigantes que les rencontres en personne.
La fatigue liée aux réunions virtuelles n’est pas qu’une impression. L’épuisement ressenti par de nombreuses personnes après avoir passé des journées entières sur leur écran est confirmé par les neurosciences. Le cerveau doit fournir des efforts supplémentaires pour interpréter les maigres indices que nous percevons sur l’écran. Il faut faire plus attention aux expressions des visages, aux intonations des voix, au langage des corps (BBC). Par ailleurs, le fait de devoir se focaliser sur un seul point empêche nos yeux ou notre cerveau de se reposer comme ils peuvent le faire lorsque nous sommes physiquement présents. Et si voir les visages, comme le permet la vidéo, peut s’avérer utile, tout ce temps passé sur cette « scène virtuelle » nous donne l’impression épuisante d’être constamment en représentation. Les spécialistes affirment que les frontières et les temps de transition sont essentiels pour réduire la fatigue, mais ils ne sont pas du tout spontanés en ligne.
Les études menées par Steelcase durant la pandémie montrent que seules 21 % des personnes déclarent avoir été pleinement investies en travaillant depuis la maison, un chiffre bien inférieur aux 34 % que l’on trouvait dans le Rapport d’étude internationale Steelcase : l’engagement et l’espace de travail dans le monde, rédigé avant la crise sanitaire. D’autres études, réalisées avant la pandémie, confirment que des interactions numériques incessantes peuvent être un frein à l’engagement des équipes, comme une sorte de « plafond numérique ». Deux tiers des employés qui télétravaillent en permanence ou très souvent avouent un manque d’investissement dans leur travail (Workplace Trends and Virgin Pulse). La chose est devenue un peu plus facile lorsque tout le monde s’y est mis, durant la pandémie. Mais avec le retour au bureau d’un nombre croissant d’employés, les réunions se feront de plus en plus en « effectifs hybrides », ce qui pourrait induire une « disparité de présence » lors des réunions, au détriment des participants à distance qui pourraient avoir plus de mal que leurs collègues sur place à s’impliquer pleinement. Il en résulterait une inefficacité épuisante pour tous les collaborateurs, sur place ou chez eux.
Réalité :
Le travail sédentaire nuit au bien-être physique.
WebMD a interrogé plus d’un millier de lecteurs aux États-Unis pour constater qu’une femme sur deux et un homme sur quatre avaient pris du poids pendant le confinement imposé par la pandémie de COVID. Ce phénomène s’explique notamment par l’absence de mouvement (pas de déplacement pour se rendre d’une réunion à une autre), le manque de changements de position, l’accès permanent à la nourriture, etc. Sans oublier le fait qu’un environnement peu ergonomique, comme peut l’être celui de la maison, est source de douleurs physiques au sens propre. Selon WKspace, 84 % des employés ne disposent pas d’un espace de travail digne de ce nom chez eux. Le mouvement, l’ergonomie et la nutrition sont autant de facteurs de bien-être qui font défaut aux employés lorsqu’ils travaillent de chez eux.
Prochaines étapes : Oublier le passé pour faire place au changement
Où se trouve don l’avenir du travail et des bureaux ? Certainement pas dans un retour à la situation antérieure, ni dans une solution extrême dictée par une stratégie agressive de réduction des coûts. Il faut envisager les espaces de travail sous un nouvel angle, afin d’en faire un environnement à la fois motivant et sécurisant pour les employés, et en phase avec les impératifs des entreprises.
L’engouement pour le télétravail est retombé, si l’on en croit WKspace, une entreprise britannique spécialisée dans l’aménagement des espaces de travail, et dont les recherches, menées à l’échelle mondiale, mettent en lumière un stade à partir duquel les performances des employés en télétravail diminuent. Elle note ainsi un recul de la satisfaction, de la motivation et des contacts, ainsi qu’une stagnation de la productivité après seulement cinq semaines de travail à la maison.
À l’heure où les grandes entreprises découvrent les implications à long terme des stratégies de télétravail extrême, elles constatent également la pertinence de ce qu’elles savent depuis longtemps : l’espace de travail est incontournable pour la croissance, la culture d’entreprise et le genre d’innovation qui soutient la croissance économique mondiale.
Pour autant, il ne peut être question de revenir au bureau d’autrefois. Ces entreprises réévaluent aujourd’hui le rôle de l’espace de travail, non pour trouver un moyen de le supprimer, mais pour en faire un avantage compétitif encore plus puissant.
Des grandes entreprises ont fait publiquement part de leur intention d’assurer à leurs employés un retour au bureau en toute sécurité, tout en mettant en œuvre des stratégies de télétravail raisonnables. Elles étendent actuellement leur réflexion à la création d’un « écosystème d’espaces » qui inclurait l’espace de travail, mais aussi des conditions de télétravail plus souples et d’éventuels lieux satellites. Les entreprises comme celles-ci s’engagent à garantir une expérience employé positive, motivante et sûre dans l’ensemble de l’écosystème. Cette approche semble on ne peut plus bénéfique pour l’employé comme pour l’employeur, et permettre à l’entreprise d’élaborer une stratégie plus résiliente pour les espaces de travail de ses employés.
Cinq axes pour créer un environnement de travail attractif et sûr
Étayées par des décennies de recherches, ces stratégies peuvent aider les entreprises à aménager des espaces de travail adaptables aux circonstances et satisfaisant le besoin de sécurité, de productivité et d’appartenance des employés.
1
Élargir l’écosystème d’espaces : plus de choix, plus de contrôle
Le sentiment de sécurité varie d’un individu à l’autre et peut évoluer avec le temps. Nous aurons donc besoin d’un écosystème d’espaces élargi, capable d’inclure, en plus de l’espace de travail, le domicile et les espaces satellites potentiels. Les employés pourront ainsi choisir où et comment travailler, en fonction de leurs besoins. Disposant de solutions plus nombreuses, ils se sentiront davantage maîtres de leur travail et de leur sécurité. Le Rapport d’étude internationale Steelcase : l’engagement et l’espace de travail dans le monde a mis en évidence le fait que les employés contrôlant mieux leur expérience professionnelle étaient plus satisfaits de leur espace de travail et plus impliqués.
En outre, pour attirer et retenir les talents, les entreprises doivent diversifier leur stratégie en matière d’espace de travail, afin de mieux répondre à la diversité des besoins individuels et des modes de travail souhaités. Les employés auront besoin d’espaces adaptés aux différents types de travail (concentration, collaboration, socialisation, apprentissage et régénération) et aux différentes manières de travailler.
2
Passer des espaces figés aux espaces fluides
Les environnements de travail reposant sur une architecture et un mobilier fixe doivent gagner en fluidité. Si personne ne peut prédire l’avenir, il faut cependant compter avec des perturbations majeures, qu’il s’agisse d’une nouvelle vague du virus, d’un mouvement social paralysant une ville ou d’une catastrophe naturelle. Les entreprises ont besoin d’espaces capables d’être adaptés facilement et rapidement (pas seulement par les services généraux, mais aussi par les employés), conformes aux exigences en matière de distanciation physique et permettant également aux équipes de modifier elles-mêmes les espaces en fonction des tâches à effectuer et du niveau d’isolement nécessaire.
3
Tenir compte de l’individu au sein du groupe
L’environnement de travail devra assurer l’équilibre entre les besoins croissants en matière de travail d’équipe et ceux des individus. Avant la pandémie, la collaboration prenait de plus en plus de place et de nombreux employés rencontraient des difficultés dans l’open space, qui favorisait le travail en groupe, au détriment de la concentration nécessaire aux tâches individuelles. À l’issue de la crise, nous aurons plus que jamais besoin des bureaux pour accueillir le travail collaboratif qui nous a tant manqué : les employés devront pouvoir passer rapidement des tâches individuelles au travail collectif. Les espaces destinés à la concentration seront primordiaux, d’autant plus si celle-ci n’est pas possible à domicile et dans les espaces de régénération à cause du stress et de l’anxiété qui ne manqueront pas de perdurer. Les visioconférences seront plus fréquentes car le travail à distance se poursuivra en raison des restrictions en vigueur concernant les voyages. Certains employés retourneront au bureau tandis que d’autres resteront à la maison. Il faudra donc disposer de plus d’espaces destinés à passer les appels vidéo sans déranger les autres collaborateurs.
4
Rendre hautement performant chaque espace collaboratif
Avant que la crise sanitaire ne nous renvoie tous chez nous, on distinguait deux grands types d’espaces collaboratifs : les open spaces, cultivant un esprit bar, et les salles de réunion fermées, plus traditionnelles. Il faut aujourd’hui repenser les uns comme les autres pour les rendre encore plus performants. Sur les campus d’entreprises, certains des espaces les plus inspirants restaient vides, les employés leur préférant les salles où ils pouvaient réellement travailler. Les salles de conférence traditionnelles, elles, avaient beau être équipées de tableaux blancs ou de technologies de pointe, elles encourageaient rarement la créativité et poseront dorénavant un véritable défi en termes de distanciation. À l’avenir, les espaces collaboratifs devront être à la fois inspirants, hautement performants et sécurisants. Les espaces collaboratifs (qu’ils soient ouverts ou fermés) devront favoriser diverses postures, être équipés de prises facilement accessibles et permettre un ajustement du degré d’intimité tout en mettant à l’aise. Ils devront également être pourvus d’outils d’idéation (tableaux blancs, technologies collaboratives performantes pour rester en contact avec les collègues en télétravail...).
5
Faire cohabiter numérique et présentiel
Un cours accéléré sur le télétravail a contraint les employés à améliorer leurs compétences numériques. Dorénavant, le présentiel et le numérique devront fusionner dans des espaces conçus pour permettre aussi bien la collaboration sur place que le travail à distance. À l’heure où les équipes recourent de plus en plus à la collaboration en visioconférence, les outils collaboratifs de dernière génération favorisent une expérience plus inclusive pour les employés et ce sur quoi ils travaillent, qu’ils se trouvent tous dans la même pièce ou dans des lieux différents.
Un panaché de technologies intelligentes et connectées peut contribuer à multiplier les équipements sans contact au travail. Quant aux données relatives au taux d’occupation, elles faciliteront la prise de décisions basées sur les données, afin d’améliorer le contrôle de la densité de population et d’ajuster la fréquence de nettoyage. Elles représenteront un important moteur de progrès pour les entreprises qui cherchent actuellement à déterminer les changements à apporter à l’environnement de travail.
Sources
*Cushman and Wakefield, qui a interrogé près de 40 000 personnes, révèle que moins de 10 % d’entre eux seraient prêts à télétravailler à plein temps.
*Selon le Gensler’s U.S. Work from Home Survey 2020, 12 % des salariés souhaitent travailler depuis chez eux.
Buffer and AngelList, “State of Remote Work 2020,” lp.buffer.com/state-of-remote-work-2020
Business Facilities, “U.S. Employees Working More Hours During COVID-19 Pandemic,” (March 23, 2020)
Davis, Michelle, Green, Jeff, “Three Hours Longer, the Pandemic Workday Has Obliterated Work-Life Balance,” Bloomberg, (April 23, 2020)
DealBook, “What Satya Nadella Thinks,” New York Times, (May 14, 2020)
Farrer, Laurel, “Are Home Offices Dangerous?” Forbes, (May 20, 2020)
Fishbach, Ayelet and Steinmetz, Janina, “We Work Harder When We Know Someone’s Watching,” Harvard Business Review, (May 18, 2020)
Gurman, Mark, “Apple Plans to Return More Staff to Offices in Break From Rivals,” Bloomberg, (May 12, 2020)
Jiang, Manyu, “The Reasons Zoom Calls Drain Your Energy,” BBC, (April 22, 2020)
Levy, Steven, “Sundar Pichai Says Google Doesn’t Plan to Go Entirely Remote,” Wired, (May 22, 2020)
Moss, Jennifer, “Helping Remote Workers Avoid Loneliness and Burnout,” Harvard Business Review, (November 30, 2018)
Noonan, Laura, “Citi Investment Bank Boss Predicts Resurgence of Offices.” The Financial Times, (May 24, 2020)
Olson, Judith, Krishnan, M.S., Covi, Lisa, Teasley, Stephanie, “How Does Radical Collocation Help a Team Succeed?”, Association of Computing Machinery, (December, 2000)
Roose, Kevin, “Sorry, but Working From Home Is Overrated,” New York Times, (March 10, 2020)
Schawbel, Dan, “Survey: Remote Workers Are More Disengaged and More Likely to Quit.” Harvard Business Review, (November 15, 2018)
Tessian, “The State of DLP 2020,” tessian.com/research/state-of-data-loss-prevention-2020
VitalSmarts, “Virtual Reality: Remote Employees Experience More Workplace Politics Than Onsite Teammates,” (November 2, 20020)
WKspace, “Understanding How Workers and Workplace May Change Post-COVID-19,” wkspace.co.uk, (May 2020)