Aujourd’hui, en entrant dans certains espaces de travail, le visiteur non averti pense se trouver dans un café branché ou dans le hall d’accueil d’un hôtel. En effet, afin d’attirer les meilleurs talents, de nombreuses organisations s’efforcent de créer une sorte d’« anti-bureau » : un environnement détendu et dynamique à l’opposé des espaces austères et conventionnels privilégiés par le passé. Désireuses d’imiter les entreprises de la Silicon Valley et les start-up en plein essor, certaines d’entre elles ont adopté des approches plus ou moins fantaisistes dans le but de rajeunir leur image. Elles ont ainsi mis des baby-foots et des flippers à la disposition des employés et ont installé du mobilier résidentiel un peu partout.
De plus en plus populaires, ces nouveaux espaces, que l’on qualifie souvent d’« informels » ou d’« inspirants », sont censés offrir aux collaborateurs un environnement favorisant la productivité. L’étude internationale de Steelcase sur les espaces inspirants confirme la nécessité de repenser le bureau : ses conclusions montrent que les employés préfèrent bénéficier d’une vaste palette d’espaces de travail plutôt que d’un poste attitré. À l’heure où les entreprises sont de moins en moins segmentées et les employés de plus en plus mobiles, la place consacrée aux postes de travail individuels a tendance à se réduire au profit de divers espaces partagés : cafés, espaces de réunion informels, salons lounge, enclaves privées, etc.
Pourtant, en dépit des investissements majeurs consentis par de nombreuses organisations dans le but de créer des environnements prisés par la génération Y, certains de ces espaces demeurent sous-utilisés.
Pourtant, en dépit des investissements majeurs consentis par de nombreuses organisations dans le but de créer des environnements prisés par la génération Y, certains de ces espaces demeurent sous-utilisés. Reste à comprendre pourquoi. Quels sont les critères les plus importants aux yeux des employés ? Comment trouver la bonne formule pour obtenir le succès escompté ?
Esthétique et fonctionnalité
« Lorsque les entreprises décident de créer des espaces partagés, l’esthétique est souvent le critère numéro un, indique Mary Elaine Roush, manager Applications Design chez Steelcase. Pourtant, il est essentiel que chaque mettre carré soit utilisé à bon escient afin d’assurer la productivité des utilisateurs – ces derniers ne peuvent se contenter d’un beau canapé. »
Selon Mary Elaine Roush, il convient d’offrir aux individus toute une gamme d’espaces adaptée à divers modes de travail. « Ils doivent tous être axés sur la performance, quel que soit l’usage pour lequel ils ont été conçus (réunion informelle, session de brainstorming, travail individuel, etc.). »
C’est sans doute la raison pour laquelle les employés des grandes entreprises ne sont qu’à demi satisfaits des espaces partagés qui leur sont proposés. « Lorsque nous les avons sondés, nous avons découvert que la majorité d’entre eux, s’ils ne sont pas insensibles à l’atmosphère de type café, privilégient systématiquement les espaces les plus fonctionnels. »
Verda Alexander, co-fondatrice de l’agence Studio O+A, à San Francisco, partage cette opinion. « La priorité de certaines organisations consiste à rendre les espaces de travail plus ludiques en y ajoutant des tables de ping-pong, des équipements sportifs ou des salles de méditation, note-t-elle. Or, si ces installations peuvent contribuer à forger la culture d’entreprise et à promouvoir la régénération, elles ne remplacent en aucun cas les espaces dédiés au travail productif. Il est important de faire la distinction entre les envies supposées des utilisateurs et leurs réels besoins : les employés recherchent avant tout un environnement inspirant qui leur permette d’être efficaces. Pour obtenir les résultats escomptés, les organisations doivent donc attacher moins d’importance au superflu et recentrer leurs efforts sur la performance. »
Comment favoriser la performance ?
Les exigences vis-à-vis de l’espace de travail n’ont jamais été aussi élevées. À l’heure où les employés travaillent de plus en plus en équipe, ils ont parfois du mal à se réunir du fait de la saturation des salles existantes. Les espaces capables de s’adapter aux sessions de collaboration spontanées font donc l’objet d’une demande croissante. Malheureusement, la plupart d’entre eux sont avant tout conçus pour favoriser les interactions sociales et s’avèrent assez peu fonctionnels. Ainsi, il n’est pas rare de voir des personnes essayant de se concentrer dans de grandes salles prévues pour la collaboration ou de collaborer dans des zones normalement dédiées à la régénération.
« Les individus se rendent au bureau pour travailler, rappelle Andrew Kim, manager de l’équipe WorkSpace Futures. D’après les études comportementales, ils ont tendance à opter pour des espaces partagés offrant un certain niveau de performance. À cet égard, ils sont particulièrement attentifs à deux critères principaux : l’intimité visuelle et le soutien postural. »
Afin de mieux comprendre les facteurs spatiaux qui déterminent le taux d’occupation, les chercheurs et les designers de Steelcase ont mené 23 expériences au sein de divers environnements. Ils ont ainsi comparé l’utilisation d’espaces adjacents présentant des caractéristiques identiques, à l’exception d’un critère.
« Au vu des résultats, il est clair que nous devons être aussi attentifs aux détails lors de l’aménagement de ces espaces que lors de la conception des postes de travail individuels, affirme Mary Elaine Roush. Il faut se demander quels modes de travail les espaces en question sont censés favoriser et quels équipements s’avèrent les plus appropriés. Les surfaces planes sont-elles assez nombreuses ? Offrent-elles à tous le même accès à l’électricité ? La hauteur des sièges correspond-elle à celle des tables ? Tous ces facteurs jouent un rôle déterminant dans la performance de l’environnement. Car quel que soit le lieu choisi pour travailler, les besoins demeurent identiques. Il est donc indispensable d’en tenir compte au moment de la conception des espaces. »
Six facteurs clés
Des résultats similaires ont été obtenus dans le cadre d’une autre étude menée par Steelcase lors de l’installation de nouveaux espaces partagés dans les bureaux de Little Diversified Architecture, à Washington. Ces diverses expériences ainsi que les données issues d’études d’observation, de sondages et de capteurs ont permis d’identifier six facteurs déterminants dans l’utilisation des espaces partagés :
Des espaces de travail bien pensés
De nos jours, les employés passent sans cesse d’une activité à l’autre au cours de la journée et s’adonnent à cinq modes de travail différents : la concentration, la socialisation, la collaboration, l’apprentissage et la régénération. Aucun espace ne peut répondre à tous ces besoins, mais chacun d’eux doit favoriser la performance.
« La conception des espaces tertiaires doit être bien pensée pour que les équipes et les individus puissent être productifs quelle que soit leur activité, explique Mary Elaine Roush. Pour travailler efficacement, il faut disposer des bons outils et d’un certain niveau d’intimité. De même, il est difficile de se régénérer lorsque les seuls espaces disponibles sont des cafés bruyants. »
Ainsi, les environnements partagés doivent offrir un certain bien-être psychologique.
Ainsi, les environnements partagés doivent offrir un certain bien-être psychologique. « Pour favoriser les interactions, il est indispensable de créer un climat apaisant, souligne Ingrid Fetell Lee, designer et auteur de l’ouvrage Joyful. Dans nombre de bureaux, certains détails souvent inconscients ont tendance à déstabiliser les individus. Ainsi, les espaces entièrement ouverts peuvent se révéler insécurisants. Le géographe britannique Jay Appleton a d’ailleurs élaboré une théorie sur les notions de perspective et de refuge si chères à l’être humain : nous aimons les vues dégagées à condition que le paysage soit jalonné d’arbres et de buissons car nous voulons voir sans être vus, étudier notre environnement sans nous mettre en danger. Le sentiment de sécurité est pour nous fondamental. Si nous nous sentons trop exposés, nous avons tendance à nous renfermer sur nous-mêmes. »
Intimité
- Intimité acoustique : Peut-on entendre ou être entendu ?
- Intimité visuelle : Peut-on être vu ? Peut-on éviter les distractions visuelles ?
- Intimité spatiale : Peut-on s’approprier un espace ?
- Intimité informationnelle : Peut-on préserver la confidentialité des contenus (analogiques et numériques) et des conversations ?
Posture
- Les employés ont-ils accès à toute une palette de postures (assise, debout, perchée, lounge...) afin de pouvoir passer plus efficacement d’un mode de travail à l’autre ?
Proximité
- Individus / collègues : L’espace est-il confortable et accueillant ?
- Individus / technologie + outils : Les employés ont-ils accès aux outils et technologies dont ils ont besoin pour travailler ?
- Mobilier / mobilier + espace : Les éléments de mobilier sont-ils coordonnés ? L’espace est-il situé dans une zone adaptée au type de travail effectué ?
Personnalité
- L’espace aide-t-il à définir la marque et la culture de l’organisation ?
Performance améliorée
Intimité
Offrir le niveau et le type d’intimité requis en fonction du travail à effectuer. Les employés ont besoin de se sentir en sécurité et de jouir d’une certaine intimité en fonction du mode de travail choisi. « Intimité n’est pas forcément synonyme de portes et de cloisons, indique Mary Elaine Roush. Les changements de revêtements de sol et de tapis, par exemple, peuvent suffire à délimiter l’espace. L’intimité visuelle joue un double rôle : elle préserve la confidentialité du travail en cours et limite les distractions. Enfin, l’intimité acoustique, essentielle aux individus comme aux équipes, doit faire partie intégrante de l’écosystème d’espaces partagés. »
Après
Avant
Comment offrir davantage d’intimité à chaque utilisateur ? Où les individus peuvent-ils déposer leur sac ? Comment rendre cet espace plus vivant ?
Avant
Après
Questions importantes
- Y a-t-il une protection visuelle dans le dos l’utilisateur ?
- L’orientation du siège lui offre-t-elle de l’intimité ?
- L’espace permet-il de préserver la confidentialité des informations ?
Posture
Promouvoir la posture la plus adaptée selon l’activité. De nos jours, rares sont les employés qui restent toute la journée assis au même bureau. Leur productivité, leur santé et leur bien-être s’en trouvent ainsi améliorés, et la variété des postures adoptées permet de passer plus efficacement d’un mode de travail à l’autre. Il est donc essentiel de favoriser cette diversité au sein des espaces partagés. Les individus passant de plus en plus de temps loin de leur poste principal, le confort de ces espaces tiers est devenu un enjeu majeur.
« Les changements de postures induisent des changements de comportements, souligne Mary Elaine Roush. Si vous voulez promouvoir un mode de collaboration plus actif, par exemple, il est recommandé de favoriser la position debout. En revanche, si l’espace est prévu pour de longues sessions de concentration, mieux vaut y installer des sièges de travail performants. Et dans les espaces sociaux, les assises lounge, plus décontractées, sont de mise. »
Before
Comment optimiser la flexibilité de l’espace pour que les individus puissant se l’approprier ? Comment les utilisateurs peuvent-ils accéder facilement aux outils collaboratifs ?
After
Avant
Après
Questions importantes
- Les assises facilitent-elles la participation de tous ?
- La posture encourage-t-elle le comportement recherché ?
- Les espaces partagés offrent-ils une large palette de postures ?
Proximité
Penser les connexions entre les individus, les outils, le mobilier et l’espace en général. Compte tenu du choix quasi infini dont jouissent les designers aujourd’hui, la conception des espaces tertiaires offre des possibilités presque illimitées – ce qui n’est pas sans poser certaines difficultés. Il est notamment primordial de mieux appréhender la notion de proximité et les problématiques qu’elle engendre. « Il convient de réfléchir aux connexions entre les individus, à leur accès aux outils et aux technologies, à la compatibilité des éléments de mobilier et, enfin, à la localisation de l’espace au sein du bâtiment », insiste Mary Elaine Roush.
« L’environnement doit être confortable et accueillant, poursuit-elle. Pour favoriser la communication, il faut créer un espace qui encourage la participation de tous et instaure la bonne distance entre les individus. » Ainsi, des sièges de différentes hauteurs peuvent provoquer des situations embarrassantes en empêchant les différents interlocuteurs de se regarder dans les yeux. Il importe également de proposer les bons outils et technologies afin de promouvoir le comportement recherché. Les employés doivent notamment pouvoir accéder facilement aux affichages numériques et analogiques permettant de partager des contenus ou de brainstormer.
Après
Avant
Comment donner du caractère à cet espace ? Les utilisateurs seraient-ils disposés à partager leurs idées dans cette configuration ? Quelles options de connectique peuvent être envisagées ?
Avant
Après
Autre critère à prendre en compte pour concevoir un espace fonctionnel : les éléments de mobilier doivent être bien coordonnés. « On veille toujours à ce que la hauteur du bureau coïncide avec celle du siège de travail. Ce principe doit également s’appliquer au mobilier des espaces partagés », souligne Mary Elaine Roush.
Enfin, il est essentiel de bien sélectionner la localisation. « Une même configuration peut s’avérer très fréquentée dans une zone donnée et sous-utilisée dans une autre – sans doute parce que son emplacement a été mal choisi. Il est donc indispensable de tenir compte de l’environnement immédiat, qui joue lui aussi un rôle central dans la performance des espaces. »
Questions importantes
- La configuration est-elle proche de la zone de travail principale ?
- La localisation est-elle adaptée au type de travail effectué ?
- La configuration permet-elle aux utilisateurs de se regarder dans les yeux ?
- Les individus sont-ils séparés par une distance adéquate ?
- Les outils et les technologies se trouvent-ils à portée de main ?
- Les utilisateurs peuvent-ils ranger leurs effets personnels ?
- Les sièges et les tables sont-ils à la bonne hauteur ?
Personnalité
Jouer sur la marque et la culture d’entreprise pour attirer les talents. « L’esthétique joue toujours un rôle prépondérant. Elle permet aux organisations d’imprimer leur marque sur ces espaces et de communiquer leur culture à leurs employés et visiteurs. Les bureaux doivent refléter la personnalité de l’entreprise. Associée aux autres principes fondamentaux, celle-ci constitue un levier majeur de la performance », estime Mary Elaine Roush.
Compte tenu de la diversité des préférences individuelles, il est en outre essentiel de proposer différents styles aux employés et aux équipes.
Avant
Comment donner du caractère à cet espace ? Les utilisateurs seraient-ils disposés à partager leurs idées dans cette configuration ? Quelles options de connectique peuvent être envisagées ?
Après
Avant
Après
Questions importante
- Avez-vous trouvé le juste équilibre entre la performance et la personnalité de l’organisation ?
- Les lampes de bureau permettent aux employés de contrôler leur environnement grâce à trois réglages différents.
Il convient de réfléchir de manière holistique à la relation entre posture, intimité, proximité et personnalité.
Les organisations font tout leur possible pour créer des environnements à la fois inspirants et performants. Un nombre croissant de dirigeants reconnaît que l’esthétique ne fait pas tout et cherche à comprendre pourquoi certains espaces demeurent sous-utilisés. S’il n’existe pas de solution toute faite, il convient de réfléchir de manière holistique à la relation entre posture, intimité, proximité et personnalité afin de créer des environnements où les individus se sentent en sécurité et peuvent révéler tout leur potentiel.