L’Enseignement pendant et après la pandémie
L'impact du COVID-19 sur les espaces au sein des écoles et des universités
©Copyright Matthias Heisler
La TU Wien (Université de technologie de Vienne) est spécialisée dans l’architecture et l’aménagement de l’espace. Avec près de 30 000 étudiants, elle est l’une des universités les plus renommées d’Autriche. Le magazine 360 s’est entretenu avec les professeurs Yulia Kartysh et Dietmar Wiegand, qui sont responsables du départmement « développement projets », permettant d’identifier comment le COVID-19 a influencé leur travail et comment, selon eux, il influencera l’avenir des espaces d’enseignement.
360° : Comment l’Université technologique de Vienne a-t-elle réagi à la nouvelle situation ?
Dietmar Wiegand : Jusqu’à la fin du mois de septembre, nous enseignons à nos étudiants exclusivement en ligne. Nous pouvons facilement le faire à l’école d’architecture et d’aménagement de l’espace et surtout dans notre département de développement projets. Les étudiants travaillent à leur propre rythme avec des leçons divisées en petites séquences vidéo et complétées par des questions de compréhension à la fin.
Nous avons également mis en place ce que l’on appelle “l’apprentissage par soi-même”. Les étudiants travaillent sur un sujet choisi au cours du semestre et nous les encadrons par vidéoconférence. Nos étudiants ont très bien accepté le passage complet à l’apprentissage en ligne car nous avons toujours intégré des éléments d’apprentissage en ligne dans nos cours, ils font donc preuve d’autant de motivation qu’auparavant.
360° : Quelles ont été vos expériences avec le passage complet à l’apprentissage en ligne ?
DW : L’e-learning fait partie de l’enseignement numérique et se déroule à un rythme naturel. Les étudiants apprennent par vidéo quand ils ont le temps et non selon un horaire donné, et les enseignants peuvent faire des corrections quand ils le souhaitent.
Les outils de visioconférence sont parfaits pour se connecter et sont très démocratiques. Tout le monde apparaît à l’écran de la même façon et est visible. Même les élèves timides peuvent s’exprimer, car le modérateur peut contrôler les conversations. Nous en avons également appris plus sur l’interaction sociale qui se fait normalement face à face. Je n’ai pas l’impression que l’interaction sociale ait diminué, c’est simplement différent.
Cependant, les processus créatifs me manquent, comme les séances de brainstorming où nous utilisons des notes à coller sur le mur. Jusqu’à présent, nous n’avons pas été capables de faire cela efficacement en ligne ; peut-être que nous manquons encore de pratique. Pour être innovants en tant que groupe, nous avons recommencé à nous réunir au bureau. Cela fonctionne tout de même mieux lorsque tous les participants sont dans la même pièce.
Lorsque nous sommes tous à distance, beaucoup de choses ont changé en termes d’infrastructure technique à l’université. Nous ne savions pas en détail ce que notre propre plateforme Internet pouvait gérer. C’était un processus dynamique, et nous avons acheté des licences supplémentaires pendant la crise.
360° : Comment l’e-learning va-t-il évoluer dans votre université après cette expérience ?
DW : Je suppose que les étudiants et les enseignants continueront à faire certaines choses de manière numérique, sur la base des expériences de ces derniers mois. Nous passions 20 % de notre temps à enseigner par le biais de l’e-learning et 80 % en face à face, désormais nous sommes à 100 % en e-learning. J’estime qu’à l’avenir, nous resterons dans une fourchette de 50 à 60 % d’apprentissage en ligne. Je suppose d’ailleurs que c’est ce que veulent les étudiants. Je pense qu’une majorité d’entre eux ont fait l’expérience de l’apprentissage à leur propre rythme, selon leur propre horaire, comme une valeur ajoutée, et ils veulent continuer à travailler de manière numérique.
L’encadrement des étudiants et les processus créatifs continueront à se dérouler en face-à-face à l’université, car cela fonctionne mieux ainsi.
360° : Un autre projet consiste à optimiser l’utilisation des salles de classe de l’école professionnelle de Vienne. Comment le projet a-t-il évolué en raison de la pandémie ?
Yulia Kartysh : Nous travaillons depuis près de 20 ans pour améliorer l’utilisation de l’espace. C’est particulièrement important pour les bâtiments scolaires où l’ensemble des infrastructures et des équipements sont utilisés par différents groupes d’élèves, les uns après les autres ou simultanément. Huit écoles professionnelles de Vienne vont fusionner, et nous devons trouver des synergies pour utiliser l’espace plus efficacement.
Notre équipe a veillé à ce que l’apprentissage, l’espace et toute l’organisation de la salle soient considérés et optimisés ensemble.
Nous avons d’abord étudié comment l’apprentissage devrait être organisé à l’avenir et combien de leçons et de formes d’apprentissage sont nécessaires. Ensuite, nous avons testé différents plans d’occupation des salles avec différentes formes de gestion de l’espace. Au départ, l’apprentissage est resté cohérent ; seule la disposition des salles a été modifiée pour voir quels aménagements aident le plus les enseignants.
En raison de la pandémie, nous avons dû tenir compte des règles de distanciation physique d’au moins un mètre.
En général, la taille des classes varie de 12 à 24 élèves. Si nous essayons de garder la même taille, nous avons besoin d’un tiers d’espace supplémentaire et de mobilier supplémentaire.
Il est difficile de respecter ces règles sans installer des panneaux de plexiglas, surtout lorsque l’on travaille en groupe à de grandes tables. Dans les pays germanophones, une telle protection des panneaux est très inhabituelle dans les écoles. C’est pourquoi nous avons recommandé des sièges avec de petites tables individuelles dans le centre d’enseignement professionnel, ce qui rend les règles beaucoup plus faciles à respecter car les tables ne permettent pas aux élèves de s’approcher trop près les uns des autres ou peuvent être disposées de manière stratégique. Un avantage supplémentaire est qu’elles peuvent encore être utilisées après la pandémie, lorsque la distanciation ne sera plus nécessaire.
Les écoles professionnelles de Vienne veulent de toute façon utiliser l’approche de l’apprentissage actif, et les sièges avec des tablettes d’écriture et des petites tables sont particulièrement adaptés pour cela.
360° : Comment optimiser les infrastructures d’enseignement par une utilisation partagée par différentes écoles ?
YK : Nous avons développé des simulations pour cartographier l’utilisation dynamique des salles de classe. Nous travaillons avec des vidéos où les utilisateurs se déplacent et non plus avec des salles de classe et des styles d’apprentissage statiques. De cette façon, nous pouvons simuler une année d’utilisation de la salle de classe en fonction de certains paramètres que nous voyons dans notre configuration actuelle. Nous étudions également combien de salles de classe sont nécessaires pour que chacune des huit écoles permette à d’autres écoles d’utiliser leurs salles.
Les enseignants veulent passer du contenu d’apprentissage numérique à du contenu analogique pendant les cours.
Nous avons étudié les avantages qu’il y aurait à transformer les salles de classe normales en salles d’enseignement numérique, en équipant d’ordinateurs toutes les salles de classe de l’école professionnelle centrale. Cela permet de réaliser différentes activités d’apprentissage dans une même salle, ce qui rend la salle beaucoup plus efficace.
Le changement des activités d’apprentissage n’est plus associé au changement de salle de classe.
À l’avenir, les présentations, le travail de groupe et le travail individuel se dérouleront dans la même salle. Cela rend chaque salle un peu plus chère mais permet d’économiser environ un tiers de l’espace. L’investissement accru dans les équipements et le mobilier informatiques sera rééquilibré dans un délai très court.
360° : Comment la crise du coronavirus affectera-t-elle l’éducation et les environnements d’apprentissage en général ?
YK : La crise a déclenché un énorme élan pour moderniser l’enseignement et l’apprentissage. Avant la pandémie, les écoles professionnelles de Vienne nous ont dit qu’elles aimeraient introduire plus d’apprentissage par soi-même. Mais ils ont dit que ce n’était pas possible car de nombreux étudiants ne sont tout simplement pas capables d’apprendre de cette manière. Mais pendant la crise, les enseignants ont remarqué que celui-ci fonctionnait très bien pour environ 90 % de tous les apprentis. Certains élèves ont eu des problèmes parce qu’ils n’avaient pas d’ordinateur portable ou d’accès à Internet, mais les nouvelles formes d’apprentissage sont définitivement possibles dans les écoles professionnelles. Actuellement, la question est de savoir si les écoles sont des espaces d’apprentissage individuel, ou si les élèves doivent apprendre de manière autonome depuis leur domicile.
De nombreuses conséquences de la pandémie vont perdurer et modifier l’organisation des espaces d’apprentissage et l’apprentissage lui-même à l’avenir. Les écoles professionnelles ressemblent de plus en plus aux entreprises, car les processus de travail y sont enseignés. Par conséquent, les espaces d’apprentissage des écoles professionnelles évolueront lentement vers une architecture organisationnelle. Les universités changeront considérablement en raison de la crise, et nous aurons besoin de moins d’espace dans l’ensemble.
À l’avenir, les universités seront beaucoup plus utilisées comme plateforme d’ateliers pour la collaboration et l’innovation et je suppose que les cours magistraux en l’amphithéâtre auront bientôt disparu.